Le corps est l'ancrage de l’expérience humaine, de l’action et de l’expression. Les expériences de l’enfance et de la jeunesse y enracinent une impression durable.
Nos pratiques, nos activités quotidiennes tiennent-elles suffisamment compte de cet aspect essentiel? De la portée d'une conscience du corps accrue pour notre développement, nos apprentissages et nos pratiques professionnelles? [1]
Afin de concevoir les objets dont nous avons l'usage au quotidien , le designer, l'architecte doit pouvoir saisir la façon dont le corps humain perçoit, appréhende le monde sensible, et retranscrire sa compréhension dans la forme ou l'espace conçu.
La perception étant la lentille à travers laquelle nous voyons le monde, l’élargissement de notre champ d’observation défie nos façons de penser et d’agir habituelles, amenant une conscience plus grande de leur influence sur nos actes créateurs.
L'architecte japonais Tadao Andô (1941-), prix Pritzker 1995, souligne ici la place fondamentale du corps dans son apprentissage du métier:
Lorsque j’étais jeune, je pouvais passer mes journées dans la fabrique de bois située devant ma maison natale, et j’éprouvais un grand intérêt pour l’élaboration de formes avec cette matière vivante. À l’image de l’être humain, aux caractères et aux physionomies multiples, le bois est doté de propriétés variées.
L’environnement dans lequel grandit l’arbre, l’orientation de la lumière du soleil sur son écorce, la grosseur de ses nœuds et la sensation tactile au contact du bois : je saisissais tout cela en permanence avec la réceptivité de la jeunesse. Je cherchais à comprendre la nature de ce matériau, je m’enivrais de son odeur, et j’ai appris avec mon corps, dans le dialogue avec le bois, l’extrême importance, lorsqu’il s’agit de construire des objets, de l’équilibre absolu, source de vitalité, entre la matière et la forme. J’ai alors expérimenté le conflit intérieur qui surgit pour que la forme puisse naître de la volonté et j’ai pris conscience que la création – la remise en question des différents signifiés au cours de l’élaboration de l’objet – n’était pas chose aisée. [2]
Les caractéristiques de la matière, de l'environnement sont pour l'architecte un terrain d'apprentissage, un terreau de développement esthésique qui imprègne en retour les qualités sensibles de ses propres créations.
L’apprentissage s’est fait par mon corps. J’ai travaillé au côté d’artisans et d’ouvriers qui étaient pour moi des artistes. L’origine de mon rapport à l’architecture est physique et ma perception de l’architecture est liée à cette composante physique. La présence physique de l’architecture est le fondement de ma sensibilité. C’est pour moi la chose la plus importante. Ça c’est mon sens de la réalité, que j’ai acquis très tôt. [3]
Le corps est outil de perception pour l'architecte tout autant qu'il l'est pour chacun.e d'entre nous.
L'architecte est concepteur, créateur mais également médiateur du développement humain.
En tant que coach, thérapeute ou pédagogue, les qualités sensibles de l'environnement bâti ou naturel nous invitent spécifiquement à nous interroger sur la façon dont l’espace d'accompagnement, les espaces du quotidien influencent le développement des personnes que nous accompagnons tout autant que le nôtre.
Une approche intégrale de l’accompagnement humain que ce soit en contexte d’enseignement, de coaching ou de thérapie doit pouvoir tenir compte de cette dimension essentielle. À contre courant d’une fragmentation de l’être, il s’agit d’intégrer le cognitif, l’émotionnel et le somatique en vue d’une conscience plus fine de soi en lien avec l'environnement et d'un plein déploiement du potentiel créateur.
Références:
[1] Le développement d'une telle conscience est en effet associé dans la pratique professionnelle et dans le contexte d'apprentissage en particulier à :
- un équilibre plus grand
- une diminution du stress et de l’anxiété
- davantage de plaisir
- une plus grande aisance à atteindre ses objectifs
Émond Genevieve, Thèse : "L’apprentissage de la conscience de la corporéité d’enseignantes et de formatrices et ses influences sur la cohérence interne-externe de leur pratique "
[2] Nussaume, Yann. Tadao Andô Et La Question Du Milieu : Réflexions Sur L'architecture Et Le Paysage. Architextes, 9. Paris: Editions du Moniteur, 1999.
[3] Andō Tadao, Michael Auping, and Michael Auping. 2007. Du Béton Et D'autres Secrets De L'architecture : Sept Entretiens De Michael Auping Avec Tadao Ando Lors De La Construction Du Musée D'art Moderne De Forth Worth. Tête-À-Tête. Paris: L'Arche.
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